Le Goût de Victor Hugo
« J’ai manqué ma vocation, disait le maître des Contemplations, J’étais né pour être décorateur » !
Hauteville House, une Ode à la brocante !
Parmi toutes les demeures du poète, Hauteville House est la plus emblématique de son goût décoratif. Entièrement aménagée par ses soins, elle reste la maison-œuvre dont Charles Hugo disait qu’elle visait à « l’éducation de l’esprit par la demeure". Pour elle, Hugo se fait contremaître, dirige une équipe de peintres et de menuisiers. Il donne des schémas d’exécution, des modèles de meubles. Il prend lui-même le pinceau pour orner de fleurs, de papillons et d’oiseaux des cadres de miroirs, faisant entrer la couleur dans son œuvre et créant un nouveau registre d’images. Et comme son œuvre littéraire Hugo va faire de sa maison une œuvre magistrale.
Le 31 octobre 1855 Victor Hugo quitte Jersey, second lieu d’exil pour se rendre dans une île encore inconnue mais qui deviendra terre d’asile jusqu’en 1870, puis terre de villégiature jusqu’en 1878. L’île de Guernesey, « île de brouillard », ainsi que la surnomme Madame Hugo.
Par jour de gros temps, il embarque donc sur un frêle esquif avec une malle contenant d’importants manuscrits non encore terminés. Il y a là en autres les Contemplations, une partie des Misérables, et quelques autres épopées…
GUERNESEY ET HAUTEVILLE HOUSE
Après quelques jours passés à l’hôtel la famille Hugo le rejoint et s’installe au 20 de la rue de Hauteville, puis ils emménagent dans une bâtisse géorgienne, quasi vide et, disait-on, quelque peu « hantée ». On campe, on loue des meubles d’occasion, qu’importe, la maison est belle avec la mer à ses pieds. Des fenêtres, on admire les autres îles de la Manche, le va-et-vient des bateaux. Au petit jardin on se prélasse sous les treilles et on goûte le raisin. Pauvres mais heureux. Et c’est alors que la publication des Contemplations (avril 1856) va tout changer. Avec le succès vient la fortune. Victor Hugo achète la maison, ce sera « Hauteville House ».
Il écrit à Georges Sand : « Je viens d’acheter une masure ici, avec les deux premières éditions des Contemplations. Je vais la faire un peu bâtir et compléter…» Et le voilà qui devient architecte, ébéniste, tapissier, sculpteur, dessinateur.
Il met dix années pour accomplir ce travail prodigieux. Fréquente assidument les brocantes de l'île, les fermes, les échoppes et il transforme cette maison géorgienne d’allure assez ordinaire en un reliquaire de bois sculpté, de verre et de tapisseries, de perles et d’or aux reflets éclatants. L'ensemble, vu de notre 21ème siècle, prenant quelque peu des allures de caverne d'Ali Baba et même parfois frisant "l'over-dose gothico-médiévale! "
la chambre et le bureau de Victore Hugo
la bibliothèque faite d'armoires achetées dans des brocantes
En effet Hauteville House est unique en tout. Le poète réunit dans un même ensemble le gothique allemand et le gothique français avec ses vierges de chêne sculpté, les dragons de la chine , les délicates tapisseries, les tentures, les brocards, les lustres de Venise, les longs miroirs dorés du siècle des Lumières. Il semble avoir une passion pour les miroirs, la maison en compte 56!
le grand salon rouge
la salle à manger et sa cheminée en carreaux de Delft "récupérés pour presque rien" lors d'une vente d'un
Hôtel de la ville et formant H comme Hauteville, House et Hugo.
Le style décoratif de Victor Hugo fonctionne souvent sur l’oxymore, ou l’antithèse : « la vieille Hollande chinoise ». Il aime marier éléments chinois et gothiques, tapisseries flamandes et tapis turcs, carreaux de Delft et porcelaines japonaises. Il compose ses plafonds en encadrant de bordures de chêne sculpté les tentures d’Aubusson. Il construit les cheminées – emblèmes du foyer par excellence – comme de véritables cathédrales. Il intègre les objets – tapisseries de perles, esclaves porte-torche, meubles anciens et utilise des services entiers de porcelaine comme matière décorative. Il invente ses propres meubles en faisant réassembler les éléments démembrés de vieux coffres ou d’armoires.
Le petit salon blanc, pièce de repos et de méditation
le "look-out," véranda posée sur le toit, pièce de repos et d'écriture
Des canapés à étages, recouverts de tapis turcs, y dissimulent la pente du toit, un soubassement et un poêle de faïence, quelques miroirs, en constituent tout l’ameublement. En 1864, Hugo y ajoute une frise et des panneaux gravés et peints.
Chez Juliette Drouette, vaisselle et service de porcelaine au mur dans un décor chinoisant. Visble à Paris Maison de Victor Hugo, place des Vosges. ©estheteplace
Victor Hugo poursuit l’aménagement du dernier étage entre 1861 et 1862 en faisant construire sur le toit, une pièce entièrement vitrée qu’il appelle le look-out, dans le prolongement de son cabinet de travail qui en devient alors l’antichambre. Le look-out est devenu l’emblème de la maison, le lieu par excellence de l’écriture. Face à la mer, sur des tablettes amovibles Hugo écrira certains de ses chefs-d’oeuvre : Les Travailleurs de la mer, L’Homme qui rit, Théâtre en liberté.